Premier enfantement
Je souhaitais accoucher en maison de naissance, mais comme celle-ci n’a pas ouvert à temps, le plan B était de faire le début du travail à la maison puis de me diriger au CHUV une fois le travail lancé. J’appréhendais beaucoup l’idée d’accoucher à l’hôpital, surtout pour le risque d'épisiotomie et le fait que je savais que je serai beaucoup moins libre de mes mouvements qu’en accouchant avec ma sage-femme en maison de naissance. J’avais d’ailleurs pris rdv avec la sage-femme conseil du CHUV pour faire un plan de naissance clair contenant les choses que je voulais et que je ne voulais pas. Faire ça m’a beaucoup soulagée et j’étais prête (et impatiente) d’accoucher.
Quelques semaines plus tard, nous sommes la nuit du 18 au 19 janvier 2018. Pour la première fois depuis le début de ma grossesse, je me réveille plusieurs fois à cause de douleurs de règles. Le matin, je le dis à mon mari avant qu’il ne parte au travail. Je me lève et m’habille tranquillement, puis je sors faire quelques courses et faire mon changement de nom à la banque (nous nous sommes mariés deux semaines plus tôt). J’ai toujours ces douleurs de règles lancinantes, et je me dis que c’est sûrement du pré-travail; il paraît que pour un premier bébé ça peut durer plusieurs jours, du coup je me dis que la machine se met gentiment en marche. Le terme est prévu pour le 28 janvier.
À 11h30, je vais chercher un ami à la gare qui vient cuisiner et manger avec moi à la maison. Le temps qu’on papote, qu’on prépare le repas et qu’on passe à table, il est passé 13h et je commence à avoir plus mal au ventre qu’avant, même si c’est toujours très supportable. Aux alentours de 14h, j’ai de la peine à tenir assise sans avoir mal et à 14h30 j’en parle à mon ami, qui me suggère de compter les contractions. Je passe de la chaise au ballon en me disant que ça va m’aider, mais le ballon est bien pire et je ne supporte pas d’être assise dessus, lui qui m’a pourtant sauvée pendant toute la grossesse. Je compte donc mes contractions. J’en suis à une toutes les 5min environ, qui dure quelque chose comme 40 secondes. Mon ami me suggère d’appeler ma sage-femme, ce que je fais. Au téléphone, je lui donne les chiffres et elle me dit que je n’ai pas l’air d’être en travail d’après ma voix et la fluidité de la conversation. Elle me suggère d’aller prendre un bain chaud pour voir si ça fait diminuer les contractions, et de la rappeler après.
Je raccroche, explique à mon ami ce qu’elle m’a dit. Il me dit d’y aller et qu’il s’occupe de la vaisselle pendant ce temps. Je me fais couler ce bain, j’y entre. Je respire profondément et je me demande si c’est vraiment du faux travail. Les contractions s’intensifient à tel point que je me tortille de douleur dans l’eau. J’y reste pourtant une bonne vingtaine de minutes, mais rien n’y fait, les contractions arrivent comme des vagues que je suis encore incapable de gérer.
Je rappelle ma sage-femme à 15h30 et je lui dit que je n’arrive plus à parler quand je contracte, tellement la douleur est vive et submergeante. Elle me dit qu’elle est en consultation loin de chez moi et qu’elle peut être là dans une heure. Je lui réponds que je ne sais pas si c’est normal mais je ressens par moments une envie irrépressible de pousser. À ce stade, quand une contraction arrive, elle me fait hurler de douleur et parfois me fait tomber à genoux par terre. Mon ami est toujours là, et je lui dis de partir, que ça ne sert à rien qu’il reste, et que je vais appeler mon mari pour lui dire de rentrer parce que je suis clairement en plein travail.
15h45, il part, j’appelle mon mari, à qui je n’ai donné aucune nouvelle jusque là, et je lui dis de prendre le prochain train pour rentrer à la maison, qui est un direct aux alentours de 16h30. Je suis seule à la maison et je commence à apprivoiser cette douleur si violente et vive, à la sentir monter et à la gérer un peu mieux qu’avant. J’essaye de me coucher sur mon canapé, sur le dos, sur le côté, mais c’est l’horreur. J’essaye de m’accroupir mais mes jambes ne me soutiennent plus. J’ai l’impression que je vais m’évanouir tellement j’ai mal et tellement rien ne me soulage. J’ai l’impression que je vais mourir, mais ça ne m’angoisse pas car je me rappelle que ma sage-femme avait parlé de cette sensation lors du cours de préparation à la naissance comme de quelque chose de naturel. Rassemblant mes forces, je marche à petits pas jusque dans ma chambre, où je me mets à quatre pattes au bord du lit, les genoux sur le cadre en bois. C’est parfait. Cette position me permet de bien sentir monter les contractions tout en me donnant la sensation d’avoir de la force. Autour de 16h10, je me relève, et au moment où je reçois un message de mon mari qui me demande si j’ai déjà perdu les eaux, je les perds sur mon parquet dans un énorme plouf. C’est un tel soulagement physique que je ressens au moment où la poche craque, ça me redonne presque de l’énergie.
Je marche tant bien que mal jusque dans le hall d’entrée où nous stockons les panosses dans l’armoire murale; j’en prends 2-3 et je retourne dans la chambre éponger les eaux. Mon mari me dit qu’il va piquer un sprint olympique en arrivant et que jamais le trajet n’a été aussi long…
16h40, ma sage-femme arrive enfin ! Je vais lui ouvrir la porte aussi vite que je peux (c’est à dire au ralenti), une serpillère sous mes pieds pour éponger les eaux qui continuent de couler. Nous retournons dans ma chambre, elle m’ausculte et me dit: tu es à dilatation complète, si on part au CHUV maintenant tu accouches dans la voiture ! Très naturellement, je lui dis que c’est pas un problème pour moi d’accoucher au bord de mon lit. Elle sent la tête de mon bébé quand elle m’ausculte. Je réalise que je vais le rencontrer, ENFIN, très très bientôt. L’envie de pousser est vraiment irrépressible, mais j’essaye de me retenir parce que je veux que mon mari soit là.
Il arrive en trombe à 16h50, débarque dans la chambre. Ma sage-femme lui dit de lui amener un baquet et des linges, que je vais accoucher à la maison. Il disparaît dans le couloir et revient quelques secondes après avec ce qu’elle lui a demandé, et prends place en face de moi, en me donnant la main. Cette fois je commence à pousser. Ça fait tellement de bien de pouvoir laisser faire son corps sans essayer de le retenir ! Mon mari et ma sage-femme m’encouragent, me disent que je fais du super bouleau. Peu après, je sens la tête de mon fils dans mon vagin. Je sens le sommet de sa tête sortir, mais la contraction arrive au bout et il rentre. Je me dis que la prochaine c’est la bonne. J’attends qu’elle s’installe bien, et j’utilise toute sa force et la mienne pour la dernière poussée qui libère la tête de mon fils, non sans me faire mal au passage… Il est 17h06 quand Georges est né.
Je vois ma sage-femme qui sort quelque chose de son sac; ce sont des ciseaux. Angoissée par l’épisiotomie, je lui demande ce qu’elle fait. Elle me répond que ce n’est pas pour moi, que le petit à le cordon autour du cou. Elle le coupe et l’aide à sortir. Une fois dehors, je me retourne sur le dos et j’aperçois ce petit humain. Il ne crie pas, ne bouge pas. Je sens une montée d’angoisse m’envahir et je demande si il va bien, ce à quoi la sage-femme répond qu’il a respiré du liquide amniotique et qu’il faut pomper ça rapidement. Elle le tend à mon mari en lui demandant de le masser pendant qu’elle cherche le matériel dans son sac. En quelques secondes elle le trouve, récupère mon fils, et pompe ce qu’il y avait à pomper. Le petit crie enfin, le soulagement m’envahit comme une vague chaude et je suis submergée par l’émotion d’avoir mis au monde ce petit être vivant au bord de mon lit.
Il a eu froid, mon petit bébé de 2kg770, en arrivant en plein hiver dans une pièce non-chauffée et sans chauffage d’appoint… Après la frayeur de son arrivée et la mesure/pesée de la sage-femme, on l’emmitoufle et on le prend tout près de nous. Il est tellement beau, et il a tellement bien calculé son coup pour que sa maman ne passe pas par la case hôpital… Je suis aux anges et tellement fière de ce bébé, de sa force et de sa détermination. Je suis tellement impressionnée par mon corps, ce corps qui savait tout et que j’ai su écouter, par lequel je me suis laissée guider. C’était certes douloureux, mais qu’est-ce que c’était beau, cet accouchement !