Naissance d'un ange: Voix de la doula
En ce dimanche 8 mai 2016, nous sommes à la Foire Agricole Biologique de Moudon en famille. Il est 14h lorsque je remarque que j'ai reçu 2 appels manqués et un message de Camille et Stéphan.
« Bonjour Audrey, navré de te déranger en ce jour de fête mais il est arrivé quelque chose de grave à Camille,peux-tu me rappeler.».
Tout fuse dans ma tête :elle a eu un accident !!!Je rappelle et Camille m'annonce que la grossesse s'est arrêtée et qu'elle se trouve à l'hôpital cantonal où ils vont commencer la provocation d'ici la fin d'après-midi. Stéphan ne veut pas rester auprès d'elle et souhaite rentrer à la maison avec les aînés. Camille me demande donc si je peux venir auprès d'elle pour l'accompagner dans ce moment. Je raccroche et les larmes roulent sur mes joues, cette vie est si injuste pour certains et tellement douce pour d'autres !!! Une fois les émotions passées, je réfléchis à ma capacité d'accompagner une telle naissance. Cette fameuse limite que je pensais infranchissable pour moi en tant que doula : accompagner la naissance d'un enfant mort in-utéro, en suis-je capable ?
En ai-je envie pile 7 jours après avoir été moi-même hospitalisée suite à ma fausse-couche hémorragique ? Est-ce que je réussirais à supporter tout cela ? Serais-je adéquate ? Je me recentre sur moi et me rends compte que oui je m'en sens capable, j'ai déjà accompagné ce couple depuis le début de grossesse sur un chemin caillouteux, je ne peux, ni ne veux les lâcher ici. Et la vie me montre simplement que ma place est juste auprès d'elle car il est dimanche après-midi, mon mari est disponible pour nos filles et le lundi ma belle-maman s'occupe d'office d'elles. La voie est donc libre pour m'éclipser sans aucune retenue.
En chemin vers la maison pour récupérer mes affaires doula et ensuite le trajet vers l'hôpital je ne ressens aucune peur, aucun stress, aucun inconfort. Tout est donc ok, ma place est bel et bien là. La seule crainte que j'ai est de ne pas réussir à soutenir cette femme de façon inadéquate avec des mots qui seraient inadaptés et lui renverraient le fait que son bébé est mort.
J'arrive en salle et retrouve Camille sur un lit, face à son amie et son bébé (né il y a tout juste 4 jours). Elles discutent, rigolent. L'ambiance est détendue, visiblement la provocation n'a pas encore débuté. Il est environ 18h30 lorsque la sage-femme revient dans la chambre accompagnée de la gynécologue de garde. Le premier quart de comprime de cytotec est posé et elle en aura un quart toutes les 4 heures, on lui pose aussi une dose de Co-Amoxi Mepha en prévention car les analyses de sang ont révélés un début d'infection. Je propose de la masser toutes les demies heures avec mes huiles essentielles de Palmarosa et Sauge sclarée afin d'aider à soutenir les contractions. Gentiment elles se mettent en route, mais sans régularité ni intensité. Vers 21h30 L. arrive et S. s'en va. Nous restons les 3 en chambre, la sage-femme passe régulièrement et nous offre de la tisane. Elle revient vers 22h30 pour poser le 2ème comprimé de cytotec. Nous discutons de tout et de rien et aussi de ce bébé et de cet accouchement, je sens que Camille n'est pas encore prête à entrer dans le travail de cette naissance. L. s'en va vers 23h30, je proposer à Camille de baisser la lumière et d'essayer de se reposer. Je m'allonge tout près d'elle sur le fauteuil basculant et nous revenons sur cet accouchement, elle me dit avoir peur. Peur de voir son bébé, peur qu'il ne soit pas beau, peur de devoir subir ces douleurs pour « rien ».
Je reformule ce qu'elle me dit, et la rassure sur le fait que je suis persuadée qu'avec toutes les hormones qu'elle libérera lors de l'accouchement elle trouvera son bébé magnifique et que je suis sûre qu'il le sera, mais qu'elle a le droit d'avoir peur.
Elle me dit ne pas vouloir accoucher, elle veut juste que tout soit déjà fini et avoir son bébé dans les bras.
En sachant très bien qu'elle répondra par la négative, je lui évoque l'idée de demander une césarienne si vraiment elle ne veut pas accoucher. « Non ! », j'en étais sûre...
J' énumère donc la situation actuelle ; « tu ne veux pas accoucher, tu as peur, tu veux que tout soit déjà fini mais tu ne veux pas de péridurale ». Elle me répond en avoir vraiment marre d'être la seule à ne pas pouvoir choisir, Stéphan a choisi de se préserver et a fui cette naissance. Pourquoi ne peut-elle pas elle aussi choisir de fuir une fois ? Pourquoi est-elle obligée de passer par là, sans avoir le choix ? «Tu sais, je crois que tu as le choix justement. Maintenant tout est entre tes mains. Bien sûr que ce bébé est mort et rien n'apaisera ton chagrin et tu ne pourras jamais fuir cette réalité-là, mais tu as encore le choix de vivre la naissance dont tu rêvais, tu as le choix TOI d'en faire le plus beau moment de ta Vie. Tu peux tout mettre en oeuvre et vous offrir un moment magnifique, tu peux te visualiser chez toi si tu le souhaites, tu peux traverser cet accouchement sans péridurale, en bougeant comme tu le veux, en te sentant libre de faire les vocalises que tu veux, et je serai là avec toi, à tes côtés. Je ne fuirai pas et je suis persuadée que tu en as la capacité. Tu peux choisir de vivre d'abord un accouchement, une naissance et faire ensuite de la place au deuil. » Elle ne me répond pas.
Les contractions s'intensifient, elle va régulièrement aux toilettes et commence à respirer intensément. A la lueur de la bougie LED amenée par L. , je l'observe et je flotte avec elle dans ce demi-coma rempli d'ocytocine. Soudain, elle me dit « ça y est, je suis prête Audrey. Je suis prête à l'accueillir et prête à le laisser s'en aller. Je veux accoucher. Il sera bientôt là... ». Je me sens si émue par ses mots.
Il est temps que je lui fasse part de mes peurs à moi : « Tu sais, je me sens ici à ma place par contre il y a quelque chose qui est important pour moi et que j'aimerais te demander. J'ai peur de ne pas être adéquate à un moment ou l'autre par mes mots ou par un geste. J'ouvrirai toujours la porte pour que tu puisses te sentir libre de la refermer et me dire non ça ne me convient pas, mais j'ai besoin que tu valides le fait que tu te sentes vraiment libre de me le dire, ok ? Tu n'as pas à me protéger... ».
Elle me répond de ne pas m'inquiéter et que si je suis là, près d'elle, c'est parce qu'elle a confiance et qu'il n'y aura sûrement rien à dire mais tout à Etre.
Le travail s'intensifie encore, elle est toujours allongée sur le côté face à moi, main dans la main. Elle me dit ne plus être sûre de pouvoir tenir longtemps comme ça, je lui réponds que je suis persuadée qu'elle y arrivera. Que ce qu'elle fait est magnifique et juste. Je lui propose le ballon qu'elle accepte. La sage-femme nous rejoint à ce moment-là et se poste derrière elle sans bruit. Nous restons là, les 3 dans la pénombre,Camille appuyée sur le lit assise sur le ballon et moi en face d'elle, mes mains autour des siennes.
Elle vocalise ses contractions sur des "mmmmhhhhh" que j'accompagne aussi par ma voix. La sage-femme ressort.Il est un peu près 00h30 lorsqu'elle me dit qu'elle ne sait plus comment se mettre et me demande de venir derrière elle. « Que veux-tu que je fasse ?», « Je n'en sais rien. ».
Ok, je suis donc mon intuition et commence à lui masser le dos du haut vers le bas avec le mélange d'huiles essentielles. Je lui demande également si sa mâchoire est serrée. Au moment des sons, elle me répond que Oui. Je lui explique donc qu'elle peut essayer d'être plutôt attentive à laisser sa mâchoire entre-ouverte voir ouverte et changer de sons pour faire des "aaaaaahhhh" ou des "000000hhhh" ce qui permet de laisser aussi l'ouverture en-bas.
Vers 1h30 elle répète encore une fois ne plus savoir comment se mettre et avoir la tête qui tourne. Je lui demande si elle veut peut-être se rallonger et je sonne la sage-femme. Elle vient et lui prend la tension qui est bien haute. C'est donc le pic d'adrénaline au moment où le corps passe de 9 à 10 cm et la tension remonte afin que la mère puisse expulser son bébé et prendre la fuite si nécessaire. La sage-femme me dit qu'elle va juste prévenir sa collègue sans autre précision. Camille perd un peu pied,et commence à vocaliser dans les aigus. Je lui rappelle de rester en lien avec son bébé de continuer à visualiser le lien qu'elle a crée avec lui.
Il est 2h00, ce bébé sera bientôt là. La sage-femme qui nous suit entre dans la pièce sans allumer la lumière et prépare le champ stérile pour la naissance. Camille est à 4 pattes sur le lit et cherche mes mains que je lui donne. Première poussée. J'entends la poche se rompre et le liquide couler, 23 poussées plus tard bébé est expulsé...
Tant d'émotions se mêlent en moi, je jette un oeil à l'horloge:2h17, la sage-femme coupe le cordon et emballe ce tout petit être dans un linge.
Elle indique à Camille qu'elle peut se retourner et celle-ci se dévêtit en une fraction de seconde prête à accueillir son bébé en peau à peau. Elle pleure à chaude larmes en recueillant son tout petit, les larmes roulent sur mes joues aussi. Je suis si fière d'elle et de moi, si fière qu'elle ait réussi à traverser cette naissance sans péridurale, impressionnée de la force FéminineUniverselle qui se dégage de chaque naissance que je peux accompagner.
Camille contemple son bébé et le complimente. Puis elle se retourne vers moi et me dis : « J'ai réussi tu te rends compte ? J'ai réussi I ». Je suis si émue et partagée par ce que je vois. Ce bébé tout formé et tout à fait adorable qui a l'air de tout avoir pour pouvoir rosir et vivre est bien mort et ne rosira pas,..l'émotion est très intense pour moi. Mêlée de bonheur et de tristesse, ambivalence de Vie et de Mort, de commencement et de fin.
La sage-femme tire sur le cordon pour la délivrance, le placenta sort et je suis frappée de sa petite taille. Camille rappelle que l'on souhaiterait faire une empreinte placentaire, la sage-femme ne sait pas de quoi nous parlons et me propose donc de la faire. Quel plaisir immense de pouvoir encore leur offrir ça. Un magnifique arbre se dessine sous mes mains...C'est la dernière chose que je ferai avant de sortir de la salle pour appeler mon mari.
Je vais m'en aller, c'est devenu maintenant trop intense pour moi, ma limite est là, je l'embrasse heureuse de la reconnaître et de pouvoir l'écouter.
Je vais serrer Camille dans mes bras et lui répète une fois encore qu'elle a été une vraie Déesse. Je frôle le bras de Kasey Joshua et lui adresse un« Au revoir et Merci ». Dans le couloir je tombe sur la sage-femme qui vient me serrer la main et me demande quel est mon nom de famille. Elle repose sa 2eme main sur la mienne et me dis « Merci infiniment de votre travail Audrey, ce que vous avez offert à cette maman est bien plus qu'un simple accompagnement. C'était absolument capital que vous ayez pu être là, et je me réjouis de pouvoir retravailler à vos côtés dans d'autres circonstances... ».
Elle a les larmes aux yeux, je la remercie infiniment de la place qu'elle m'a accordée et me retire.
Dans ma voiture, il est 3h17, pile une heure que ce petit être est venu au monde, pile une heure que j'ai pu accomplir ce que jamais je ne me pensais capable de faire.
Je suis infiniment reconnaissante en la Vie et en la Mort... l'un n'existe pas sans l'autre.
MERCI Camille
MERCI Kasey Joshua (Au revoir)
MERCI Stéphan
De m'avoir choisie, de m'avoir fait confiance Audrey Python