Rituel du bain réparateur
Mon téléphone sonne. Je vois le prénom apparaître sur mon écran est immédiatement un sourire tendre anime mes lèvres.
Au bout du fil, D. une cliente rencontrée lors de sa première grossesse pour une peinture sur ventre. Un bon feeling, puis des peintures pour ses amies, sa soeur et finalement j'avais peint son ventre à nouveau. Un réel lien s'était crée.
D. parlait doucement au téléphone mais aussi avec une pointe d'excitation. Elle avait vécu il y a 4 mois la plus dure des souffrances. Perdre un de ses bébés tout en devant accueillir le second.
Et c'est la raison pour laquelle elle voulait me solliciter à nouveau.
Elle me demanda si je pratiquais le rituel du bain réparateur.
Ce rituel du bain en effet, on nous l'avait expliqué à la formation des doulas romandes.
Pour vivre ce rituel il faut que la femme soit prête à replonger dans son accouchement traumatique et le faire lorsque son bébé est idéalement encore nourrisson. Ce rituel va permettre de revivre la naissance à travers un accompagnement en méditation et visualisation intuitive et faire vivre son enfantement différemment afin que celui-ci puisse prendre le chemin de la guérison.
J'en avais lu des récits, et vu des témoignages mais jamais je n'avais pratiqué ce rituel en tant que doula.
C'est donc avec beaucoup de pudeur et sans garantie que je me lançais avec elle dans cette démarche réparatrice.
Quelques semaines avant, nous nous sommes rencontrées pour parler de la naissance des filles.
Il est important que D. sache qu'elle peut me faire confiance et que je connaisse toute son histoire. Je dois la connaître et la comprendre si je veux avoir les bons gestes et les bons mots pour l'accompagner dans ce rituel.
D. m'a raconté, en détails, sans détour mais avec tendresse et tant d'amour l'arrivée de ses jumelles.
D. souhaitait tenter ce rituel pour offrir à S. sa fille, jumelle numéro 1 (comme on dit dans le jargon médical), l'arrivée qu'elle aurait aimé lui offrir. Ca sera un moment de joie. Cela sera l'occasion de redémarrer en quelque sorte mais aussi, de fêter son arrivée sur terre. Ce jour là, D. a décidé que le rituel se ferait chez moi, dans ma salle de bains. Nous avons donc choisi un jour et nous nous sommes dit qu'on se recontacterai pour les détails du déroulement.
Au fil du temps, D. m'envoyait des parties de la partition que nous allions jouer ensemble. La présence de son mari, la musique qui accompagnerait le moment... Son scénario semblait se dessiner et devenir de plus en plus clair dans sa tête.
Le jour de la "re-naissance", J'ai décidé de suivre les conseils de l'article "Guérir d'un accouchement traumatique" de Karine la sage-femme au sujet de ce rituel. Et de suivre les conseils pratiques de ma doulamie Rachel, qui en avait déjà vécu un.
C'est la raison pour laquelle, j'ai pris soin d'aller marcher. Je me suis octroyée un moment de méditation et j'ai demandé à l'Univers de me guider et d'être présente pour D du mieux que je puisse l'être. J'ai ramassé des objets de la forêt près de chez moi. Ensuite, à la maison, j'ai tamisé et mis des bougies partout dans ma salle de bain. J'avais acheté des roses. J'ai donc parsemé des pétales sur le chemin qui l'amènerait à la baignoire. J'ai posé des éléments de la forêt ici et là. J'ai fait un coin pour bébé. Une sono.
J'ai préparé du thé. Un thé de feuilles de framboisier (le thé de la femme et aussi celui de l'utérus).
Une douce musique en fond pour les accueillir.
D. arrive avec son mari V. et sa petite. D. est belle et souriante. Nous prenons le thé. Echangeons sur le déroulement avec son mari. Elle souhaite sa présence mais pas tout de suite. Il sera responsable de S. pendant que je m'occupe de D. Il la déshabillera et se tiendra disponible à venir lorsque je l'appèlerai.
D. m'annonce d'un ton clair que c'est maintenant. Nous pouvons commencer. Je lui propose de prendre un temps seule avec S. afin de lui parler et de lui dire tout ce qu'elle aimerait lui confier. Nous la laissons seule avec son mari et allons préparer la salle de bains. Nous allumons toutes les bougies et mettre en marche le petit chauffage électrique. Je mets la musique en fond afin de pouvoir l'accueillir imprégnée de son monde puisque c'est le son qu'elle a choisi.
D. remet S à son mari. Des larmes aux coins des yeux, déjà émue de ce qu'elle a pu déposer à sa petite. Elle entre dans la salle et l'émotion monte encore fortement. Je lui propose de se déshabiller et de porter les vêtements qu'elle souhaite.
Je la fait s'asseoir sur une chaise-fauteuil et la guide. Nous recréons, par les mots; la sérénité, le lieu, ses bébés dans son ventre, leurs mouvements, le ventre dur, les contractions..... Je n'ai pas vraiment le temps de planter le décor que D. dit sentir ses contractions. C'est si rapide que j'en perds le fil. Je l'aide alors à accompagner ses vagues. Je la guide avec le souffle, les gestes.
Je la laisse un moment seule. Je quitte la pièce afin de la laisser seule ressentir cet utérus qui contracte. Son ventre est vide mais pourtant à cet instant, il est plein de 2 bébés.
Après quelques minutes, je la rejoins. D. pleure. Elle est fragile et tendue. Un peu démunie. Elle sent les contractions mais elle sent le corps de sa fille qui ne prend pas le chemin.
Je la rassure et lui supporte le ventre. Je l'aide à basculer son bassin....en soulevant comme je peux les corps de ses 2 bébés. Ce ventre est vide et pourtant même pour moi, il devient plein.
Rien à faire D. sent toujours le petit corps de S. coincé. Nous faisons des 8 avec le bassin. Comme rien n'y fait, je lui propose d'utiliser mon rebozo. D. se met à quatre pattes. Avec ce tissu mexicain je secoue le bassin et soulève le ventre. Les secousses sont intenses et D. sent que cela débloque le passage.
Je la masse sur son bassin et l'accompagne à s'ouvrir grand. L'eau du bain coule, il fait doux. D. sent que le moment approche. Elle entre dans le bain.
Elle a les yeux fermés. Elle accompagne à merveille les vagues. Elle est belle et sensuelle tel que le sont les mères qui enfantent. Je la perçois concentrée et connectée à sa petite.
Je la laisse discrètement et lui promet que son bébé est bientôt là. Qu'elle fait un travail magnifique. Je demande à V. de venir. S. est nue. Elle est réveillée mais très calme, les yeux grands ouverts. Je lui demande si elle me laisse la prendre. Je lui mets de l'huile sur le corps et un peu de crème pour recréer les sensations du vernix.
D. se met sur le dos et veut pousser...., je lui propose d'essayer. V. est à ses côtés. Il l'entoure de tant d'amour. Son regard est si bienveillant. D. fait quelques poussées, je la guide. Il est là ton bébé, il est presque là! Après quelques poussées, elle ne se rend pas compte mais je plonge son bébé dans l'eau vers sa vulve afin d'avoir le sentiment d'une sortie. Elle la sens, et tend déjà ses bras vers elle, je lui la donne....et Là, c'est exactement comme si c'était le premier souffle de S. Le regard de D. est le regard d'une mère sur son petit pour la première fois. Les pleurs de joie, de tendresse. Elle met sa petite au sein. V. est très ému aussi.
Je prends du recul est fait quelques photos. Ils sont si beaux dans cette baignoire. On pourrait croire que S est née ici.
Je prends une rose est fait un voeu pour S. en lui déposant une pétale sur elle. Je fait un voeu pour D. lui déposant une pétale sur elle et un voeu pour la famille en laissant la pétale tomber dans l'eau. Je propose à V de faire de même. D. le fait également.
C'est en les laissant les 3 dans leur bulle d'amour en parfaite osmose, dans un sentiment de lumière que je m'éloigne en les laissant seuls face à leur résilience accomplie.
A ce moment un grand sentiment d'humilité m'habite. Un sentiment de gratitude profonde aussi pour ce cadeau qui s'est offert devant mes yeux. Je me sens chanceuse d'avoir été choisie pour offrir cet espace. Je suis heureuse d'avoir pu être le lien entre D et sa guérison.
Quel cadeau puissant qu'ils m'ont offert avec ce moment intense!
J'ai préparé du thé. La famille est sortie de ma salle de bains, calme, souriante et unie.
On est un peu secoué par la force du moment vécu mais nous semblons chacun reconnaissant de ce qui a pu se libérer ici.
Je propose à D. avant de nous quitter, de lui ceinturer son bassin avec le rebozo comme on le fait parfois après la naissance. D. accepte. Elle porte sa petite et lui donne le sein tout en ayant le tissu du rebozo fermé fort sur son bassin.
Cette fois, le cycle est bouclé.
Bienvenue à toi S! Et Merci pour cette magnifique venue!
Merci à S. qui était parmi nous et a accompagné sa soeur sur le chemin.
Merci à D. pour sa confiance et sa force de résilience.
Merci à V. pour son attention, son ouverture d'esprit et son regard bienveillant
Avec amour.
Aly