La pédagogie de l'amour
Une classe en mouvement. Du bruit malgré des enfants concentrés, par terre, sur une table, assis ou même couchés en travail. Travaillant avec un boulier, un livre, une fiche. Certains sont seuls, d’autres en groupes. Certains jouent avec des déguisements ou un jeu de cartes. Certains font les artistes en peignant ou en collant divers matériels au pistolet à colle. Certains s’entrainent à laver le linge, à le repasser ou à nettoyer une fenêtre. Un autre joue de la musique sur le clavier. D’autres font de la géographie avec la mapemonde. Une élève est assise sur un tabouret et observe ses camarades. Moi, habillée de mon tablier de «maîtresse», armée d’une paire de ciseaux, de crayons, de stylos, d’un cahier...je les observe. C’est mon nouvel outil d’enseignante depuis 2016. Les observer me donne toutes les clés pour les accompagner. C’est en les regardant que je sais ce qu’ils savent. C’est en les observant que j’estime leur zone proximale de développement (Vygotsky) et que je mets parfois en lumière des intérêts, une motivation, une compétence.
J’ai fait un virage pédagogique suite à l’élan et l’inspiration de mon amie Dora. Dora est ce genre d’amie qui lorsqu’elle se lance dans un projet en parle, transmets ses réflexions et ses convictions. Je suis amie avec elle depuis la HEP. Notre lien s’est renforcé au fil des années. Nous sommes 2 passionnées de la Vie et nous nous transmettons l’une et l’autre nos diverses impulsions. Bref, il en est qu’en 2016, je change ma façon d’enseigner grâce à elle.
Je n’ai jamais enseigné de façon tout à fait traditionnelle il faut le dire. Depuis toujours, mon seul et unique but de devenir enseignante était de changer le système éducatif car il échouait. Je voulais changer le quotidien scolaire ordinaire de certains enfants qui me seraient prêté.
J’ai été ce genre d’élève qui trouvait inutile l’école. Une perte de temps et d’un ennui mortel. Tant d’apprentissages inutiles, ou inintéressants. Tant d' apprentissages amenés avec ennui.
Tant de jours à lutter pour y aller....
Au fil des années, j’ai pu m’ émanciper. Je suis devenue maman, puis étudiante, puis enseignante. Pourtant, il ne me semblait pas être complètement en phase avec qui j’étais. J’ai toujours su que je voulais être enseignante pourtant. Mais mon travail ne me satisfaisait pas complètement. Plus j’avançais et plus il me semblait aller à contre sens des mécanismes naturels de l’enfant. Avec l’arrivée du PER, de NEO, de tout cet administratif, je me perds et me distancie de l’essentiel: l’enfant. Et puis, en science de l’éducation, à l’Université de Lausanne en 2009, on nous a bien rappelé qu’être enseignant c’était donner l’impression de travailler dans une profession libérale mais que cela ne l’était pas. Cette prise de conscience m’avait rendue si triste à l’époque que mon quotidien semblait me le rappeler continuellement. Je me sentais coincée dans des étaux que je n’osais encore pousser.
Rapidement, Dora m’avait transmis le site de Céline Alavarez. J’avais regardé toutes ses vidéos en une seule nuit. Conférences, tutos, conseils pratiques, tout y était passé.
Je voulais me lancer doucement au début. Mais impossible, je n’y arrive pas. Je change directement tout dans la classe. J’entame de vrais changements.
Et là, c’est comme une évidence, tout se fait, la magie opère avec les élèves. Je réalise que je ne pourrai pas gaspiller 1 minute de plus de ma vie à enseigner d’une autre façon. Je réalise alors que je veux prendre dans cet élan toute ma direction afin de me donner la liberté d’enseigner autrement.
Madame Alvarez sort son livre à ce même moment. Je décide de l’offrir à ma directrice fraîchement arrivée dans l’établissement et demande un entretien lorsqu’elle aura terminé la lecture de celui-ci. Je veux m’autoriser à enseigner autrement dans la classe mais je ne désire pas le faire dans l’ombre. Je veux vivre chaque instant dans la classe avec joie. Je veux pouvoir cueillir l’instant puisque apparemment c’est la clé de la réussite.
Ma directrice est alors prise dans le même tourbillon que moi. Elle m’encourage et nous accordons nos besoins, envies selon nos attentes mais aussi selon la loi scolaire et celle du cadre général de l’évaluation puisque j’enseigne en 3-4P-harmos.
Ma pédagogie de l’amour prend alors forme, «parce que je l’appelle ainsi». Elle se base donc essentiellement sur le respect de la physiologie de l’enfant dictée en partie par les découvertes des neurosciences. Je sais à présent que le cerveau du petit est extrêmement malléable. Je sais aussi que toutes mes interactions avec les enfants vont modifier en profondeur celui-ci. Chaque cellules cérébrales, molécules, les connexions entre les neurones, les circuits neuronaux, les structures cérébrales et même l’expression de gênes.
Je sais que la plasticité cérébrale est encore bien présente à l’âge où nous accueillons nos petits, le champ d’enrichissement est donc encore grand.
Les outils pédagogiques que je décide d’utiliser sont des moyens d’enseignement Montessori ou " home made". Je favorise la pratique du concret, l’apprentissage kinesthésique autant que possible mais surtout l’apprentissage à la vie réelle. Je vois grand pour mes petits. Ils méritent mieux que de faire semblant. Je choisis donc des apprentissages qui leur seront utiles pour toute la vie.
Je m’inspire de la pédagogie Steiner pour l’Art et le respect des cycles des saisons. Je m’inspire de la pédagogie de la nature également pour vivre et expérimenter à l’extérieur de nos murs sachant que nous avons besoin de ce lien à la Terre pour explorer et faire vibrer tous nos sens. Nous avons etrepris un jardin en permaculture. Je sors 1 matinée par semaine également dans les bois. La forêt devient notre enseignante et ses arbres notre salle de classe.
Je dispose la classe par catégorisation des matières. Chaque branche à son coin. Les enfants n’ont plus de place attitrée. Il y a moins de table que d’élèves. Je favorise le mouvement, l’apprentissage sous n’importe quelle posture voir même en mouvement. Au sol, debout, sur un gros ballon, couché sur le ventre, sur des Ztool,..... tout est possible ma classe devient flexible.
Je mets en avant des apprentissages venant essentiellement de l’intérêt de l’enfant. L’insitutionnalisation se fait essentiellement de l’enseignant à un enfant ou un petit groupe d’enfants. Je choisis mon vocabulaire le plus précisément et limite les explications trop longues. Je fournis le lexique. Je montre. Je répète mes gestes et les mots. L’enfant reproduit devant moi ou avec moi en verbalisant ses actes, avant de s’entraîner seul. ça peut paraître un peu protocolaire et la démonstration gracieuse et chorégraphiée.
L’apprentissage collectif avec l’entier de la classe ne se fait que rarement. Les moments collectifs se restreignent aux divers rituels. L’accueil le matin, Le travail sur le calendrier, les anniversaires, les chansons, le goûter, la lecture d’histoires et l’atelier philosophique .
Mon but ultime est d’offrir à chacun un apprentissage respectueux. C’est-à-dire, un apprentissage dans la zone proximale de développement de l’enfant (vygotski). Offrir de l’amour et de la disponibilité. Estimant que ceci serait essentiellement les leviers de l’intelligence des enfants. (C.Alvarez). Mais aussi une compréhension de soi. De ses émotions et de sa façon de réagir.
La base est pour moi, d’offrir de la bienveillance. De l’empathie et du soutien. Je parle le mieux possible et j’explicite tout. J’en fais mon cheval de bataille de tous les jours, de chaque instants car cela me demande beaucoup de travail. Je dois encore apprendre beaucoup, d’ailleurs. C’est un travail de tous les jours pour moi et sur moi. Je dois changer mes heures de sommeil et mon alimentation pour m’aider à gérer ses 3 points du mieux possible. Je le fais car je nourris l’espoir qu’en montrant l’exemple, mes élèves imitent cette bienveillance, cette empathie, cette chaleur et ce soutien. Je fais le pari que leur cerveau se développe ainsi au maximum de leurs possibilités.
Ma façon de percevoir mes élèves, ma façon de m’adresser à eux, ma façon d’être changent. Je deviens quelqu’un d’autre. J’évolue.
Je les convaincs qu’ils peuvent se développer et qu’ils ont les moyens de changer et d’apprendre.
Cette année, j'expérimente le duo professionnel qui oeuvre autour de la même vision et des mêmes valeurs. Du 100% autrement à l'école publique. Profonde gratitude à la vie et à mon établissement!